• Attention, fragile

    Habillement : Plus de 100 millions de paires jetées chaque année, mais pourquoi les collants sont-ils aussi fragiles ?

    ATTENTION, FRAGILE Pour paraphraser Cookie Dingler, « ne le laisse pas filer, il est si fragile, être un collant longue durée, tu sais, c’est pas si facile »

    Selon une étude de l’association HOP, 40 % des collants ne tiennent pas plus de trois utilisations avant de filer.
    Conséquence de cette fragilité, 104 millions de paires finissent chaque année à la poubelle en France.
    Mais pourquoi filent-ils aussi facilement ?
    En quatre ans de collaboration avec notre collègue Manon, les sujets d’actualités lourds n’ont jamais manqué : les « gilets jaunes », le coronavirus, la guerre en Ukraine… Forte de cette confiance dans la capacité de l’autre à traiter les problématiques de notre époque, et un peu centrée sur ses soucis du quotidien, elle nous a pris entre quatre yeux pour nous commander un sujet cher à son cœur « Tu devrais parler de la fragilité des collants, les miens filent tout le temps ».

    « Les siens », ou plutôt ceux de tout le monde. Car toute porteuse de collant vous le dira : enfiler un bas, c’est jouer à la roulette russe avec sept balles dans le barillet. Dans le classement des choses les plus fragiles au monde, on placerait facilement le collant dans le top 10, quelque part entre la cheville de Yoann Gourcuff et une chanson de Vianney. Et si mettre un collant sans le casser relève du numéro d’équilibriste, réussir à enfiler le même une dizaine de fois tient de l’exception statistique. Une enquête de l’association HOP (Halte à l’obsolescence programmée), sortie en 2018, indiquait ainsi que dans 40 % des cas *, le collant ne dépassait pas les trois utilisations. Seulement 28 % des bas dépassaient six usages.

    Un problème loin de ne concerner que le bas de gamme. Toujours selon cette étude, « aucune des marques, quel que soit leur positionnement prix, ne dépasse la note de durabilité de 3 sur 5 ». En 2013, 60 millions de consommateurs publiait un test d’usure pratiqué sur 9 marques de collants, allant de DIM à Well en passant par H & M et Golden Lady : aucune ne passe le test haut la main. Le mal semble donc profond, poussant 20 Minutes à mener l’enquête.

    Des collants transparents et fragiles
    Florence Hampe, responsable de laboratoire pour l’Institut français du textile et de l’habillement, nous renseigne sur la première cible de nos accusations, la matière dont les collants sont composés. Les bas sont généralement faits avec de la polyamine et de l’élasthanne. Et non, ces matières n’ont pas la réputation d’être particulièrement fragiles. Là où le bas blesse (vous l’avez ?), c’est davantage dans la finesse des fils, « particulièrement sur les collants transparents ou semi-transparents, qui nécessite des fils très fins », nous renseigne l’experte. « Mais même avec les collants plus opaques, les fils restent peu épais, ce qui les rend friables ».

    Les collants voiles transparents représenteraient en France 72 % du marché, contre 21 % pour les opaques, estimait le rapport de HOP. Cette préférence pour les collants (semi-) transparents interroge Sarah Banon, professeure en théorie de la mode à l’Institut Français de la Mode : « On voit bien comme dans les vêtements féminins, le design et l’esthétisme prime sur le confort et la praticité. Cette prime à l’aspect visuel concerne la globalité de la mode chez les femmes : les talons, ce n’est pas pratique, les collants, ça se casse…. Chez les hommes, la mode insiste au contraire sur l’aspect robuste et sur la praticité du vêtement. »

    Dans une autre étude plus ancienne **, Createst demandait aux femmes de définir le collant : « fragile » était le deuxième mot à revenir le plus souvent, mentionné par 65 % de l’échantillon ( « féminin » arrivait en premier, avec 72 % de mentions). Une fragilité qui se voit dans la fréquence de consommation : 49 % des sondées achètent au moins une nouvelle paire tous les deux mois.

    Autre explication de la fragilité des collants, leur concept même : « Ce sont des vêtements portés constamment en extension et beaucoup tripotés au moment de les mettre, ce qui augmente forcément le risque », appuie Florence Hampe.

    Manque d’attention
    L’association HOP s’interroge elle sur des cas d’obsolescence programmée et des textiles volontairement affaiblis pour forcer au réachat. Une accusation pas nécessairement fondée, juge Sarah Banon : « La faiblesse des collants n’est pas forcément un choix délibéré. C’est simplement que ce n’est pas dans les critères prioritaires au moment de l’achat, qui sont plus le confort et le prix ». Comprenez : s’il n’est pas certain qu’ils rendent leurs collants plus fragiles, ils se tracassent peu pour les rendre plus solides.

    Majdouline Sbai, enseignante-chercheuse à l’université de Lille et autrice d’Une mode éthique est-elle possible ? (Rue Echiquier, 2018), espère que les choses pourront changer : « La fragilité du collant illustre bien comment on pense encore les vêtements comme quelque chose de jetable ». Toujours selon l’enquête HOP, 104 millions de collants seraient jetés chaque année en France (pour 130 millions de vendus). « A raison de 55 grammes en moyenne chacun, ils représentent en moyenne 7.315 tonnes de déchets », précise le rapport.

    L’heure de taper du poing sur la table
    Pour l’enseignante-chercheuse, il ne faut donc plus accepter ce gâchis écologique, et économique : les porteuses de collant dépenseraient en moyenne une centaine d’euros par an, toujours selon l’étude : « Il est temps de voir les collants comme un produit d’habillement, pas de consommation, et de demander des bas plus résistants », clame Majdouline Sbai.

    D’autant que la révolution pourrait vite se mettre en place : « Le collant est un produit si consommé et jetable que les utilisatrices testent plusieurs marques et bas différents. Si à un moment, un concurrent propose des bas vraiment durables, ça ne tardera pas à se savoir et à faire son trou. Il n’y a pas d’identité de marque là-dessus », estime Sarah Banon. Une marque qui devrait commencer par mieux tricoter ses paires, conclut Florence Hampe : « La manière de tricoter les fils est souvent simpliste, pour plus de productivité, ce qui les fragilise encore plus. » Les collants, c’est comme un couple : pour que ça dure plus longtemps, il faut leur donner plus d’attention.

    « Elle n'a pas de culotteInvitation à déjeuner »
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